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L’idéologie qui tient la plume du législateur…Par Michel Sparagano, professeur de philosophie. L’Humanité 09-05-09

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Peut-on tolérer la loi quand elle tolère l’injustice ?

« Il y a des limites à ne pas dépasser ! » Voilà, en substance, le message qui est envoyé actuellement à tous ceux qui sont tentés de résister contre l’avenir de chômage et de misère que la crise leur promet. Or, dans un État de droit, les limites à ne pas dépasser sont forcément celles de la loi. Reste que la crise actuelle est celle de tout un système, y compris de sa composante juridique, et qu’il n’est peut-être pas inutile de réfléchir sur les limites à l’intérieur desquelles nous sommes autorisés à… réfléchir.

Des salariés ont donc fait le choix de ne pas se résigner et les moyens qu’ils utilisent ne sont pas toujours légaux. Soit ! C’est alors que l’on nous rappelle que retenir son patron vingt-quatre heures est une « séquestration » ; laquelle peut valoir quelques années de prison. Dont acte ! Mais quand un patron retient un salarié sur son lieu de travail le dimanche, on appelle ça un « accord ». Reste que si aucune pression physique n’oblige le salarié, on sait bien que personne n’échange du temps avec sa famille contre de l’argent sans subir une pression salariale (légale). Donnez des salaires décents aux salariés et vous verrez ce qu’il adviendra du travail le dimanche…

Ce simple exemple illustre bien ce que tout élève de philosophie sait : à côté des violences ponctuelles (« séquestrations », par exemple), il y a aussi des violences structurelles qui, par définition, sont dans les structures mêmes de la société (une masse importante de chômeurs empêchant les salariés d’avoir des salaires corrects, par exemple). La distinction n’est pas sans intérêt, lorsque l’on découvre que bien des violences ponctuelles sont la conséquence de violences structurelles, ces dernières n’étant finalement pas « à côté », mais « en dessous » des – premières !

De la même façon, dégrader l’outil de travail (comme l’envisagent certains ouvriers) est illégal. Soit ! Mais dégrader la vie des gens (chômage, temps partiel non choisi, flexibilité imposée…) est légal !

Occuper une usine, une école ou même une église (qu’on se souvienne de l’église Saint-Bernard à Paris) est une violation de la propriété privée et la loi punit cela sévèrement. Bien ! Mais occuper un pays, en revanche (l’Irak, par exemple) et lui pomper son pétrole, cela s’appelle « exporter la démocratie » (à noter que notre président condamne le premier type d’occupation et regrette

de n’avoir pu participer au deuxième) !!!

Jeter un Kleenex par terre est une pollution et un délit, mais jeter un salarié comme un Kleenex s’appelle une restructuration (légale) !

Refuser d’aider quelqu’un qui se noie est assimilé à de la « non-assistance à personne en danger », mais le refus de laisser se noyer un sans-papiers est assimilé, lui, à un acte qui « facilite le séjour irrégulier d’un étranger en France » (article L. 622-1 du Code de procédure pénale) ! Comment ne pas s’interroger sur ces différences qui en disent long sur l’idéologie qui tient la plume du législateur ? Ainsi, traverser une frontière sans y avoir été invité est illégal, mais affamer quelqu’un dans les limites de ses frontières (en subventionnant l’agriculture européenne ou américaine, ruinant ainsi les producteurs de coton maliens, par exemple), cela s’appelle de la libre concurrence, et c’est légal, bien entendu ! Sauter avec un parachute au-dessus de Paris est illégal, mais sauter avec un parachute au-dessus d’un plan social est permis. Il suffit que le parachutiste soit un patron et le parachute, « doré » !

Bref, voler, c’est pas bien, mais mourir de froid, c’est pas de chance !

Comment ne pas voir après tout cela que la loi n’est pas neutre, qu’elle condamne (ou pas) en fonction d’une idéologie qui n’est pas toujours avouée. Du coup, lutter contre les effets de la crise du capitalisme en restant à l’intérieur des lois rédigées selon des principes capitalistes qui protègent davantage la propriété privée que les gens, cela peut sembler à certains inefficace. Que penser d’un système juridique qui condamne le vol et pas la misère ? Et comme c’est bientôt l’époque du baccalauréat, je propose au ministre un sujet de dissertation pour l’épreuve de philosophie : « Lorsque la loi tolère l’injustice, peut-on encore tolérer la loi ? »

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