Archive pour juin 2009

« Au nom de la lutte contre les bandes, on sanctionne les manifestants » Interview de Delphine Batho par Marine Thomas (NouvelObs 27-06-09)

Dimanche 28 juin 2009

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Le 18 mars dernier, Nicolas Sarkozy avait annoncé sa volonté d’une loi contre les bandes violentes et déclaré qu’il jugeait ce texte prioritaire. L’examen de la proposition de loi, à l’ordre du jour mercredi, a été reporté à lundi soir, et le vote est prévu le lendemain. Faut-il y voir un passage en force du gouvernement?

- Non, ce calendrier s’explique par la programmation d’un nouvel ordre du jour jeudi matin. Il est habituel dans ces cas-là de reporter au lundi. Mais un débat de fond doit avoir lieu. Cette loi est vue comme inefficace aux yeux des policiers et des magistrats et elle ne respecte pas la Constitution.
Il y a sept articles à examiner dans la journée, et nous avons beaucoup de contre-propositions. Si c’est trop court, on verra à ce moment-là.

L’article 1 permettrait de réprimer une « intention délictuelle », même en l’absence de délits effectivement commis. N’y a-t-il pas un risque à légiférer sur l’intention plutôt que sur le délit lui-même?

- Sanctionner une intention pose un problème majeur en termes de règles constitutionnelles. Outre le fait que, d’un point de vue pratique, cet article n’apporte rien par rapport à ce qui existe déjà sur les bandes organisées, il est dangereux.
Prenons un exemple concret : pendant les violences urbaines de novembre 2005, les parents veillaient pour dissuader les jeunes de brûler des voitures. Si l’article 1 était appliqué, rien ne pourrait exonérer de responsabilité un père à proximité puisqu’il semblerait être impliqué. On arrive à des choses absurdes.
Un autre exemple concret : avec l’article 1, l’intention sera sanctionnée de 3 ans de prison. Si la dégradation est effectivement commise, elle sera sanctionnée de 2 ans de prison. Il y a une inversion de l’échelle des valeurs, puisque le fait d’avoir l’intention est plus grave que la mise en oeuvre elle-même.
De plus, cet article instaure un mécanisme de responsabilité collective : c’est l’inverse de ce qu’il faut. Le gouvernement dit « rien ne justifie un délit ». Pourtant, sa réponse est d’éluder la responsabilité individuelle en la noyant dans la responsabilité collective. C’est dramatique !
C’est avec cette logique que Christian Estrosi a fini par dire, ce qui est à mon sens une faute grave, que sa loi aurait permis d’éviter le drame de l’affaire Ilan Halimi [ndlr : un jeune homme français de confession juive, enlevé puis séquestré par "le gang des barbares", en janvier 2006]. C’est choquant et c’est faux. Ce qui a manqué entre l’enlèvement et l’assassinat, n’a rien à voir avec un durcissement de la loi. D’ailleurs, à l’heure actuelle, la Cour d’assise juge les responsables de ce meurtre et beaucoup sont mis en cause avec la loi sur la bande organisée. Ce qui est bien une preuve qu’il n’y a pas un problème de dispositif pénal.

L’article 2 prévoit, lui, de sanctionner la « participation délictueuse à un attroupement ». Faut-il craindre une criminalisation des mouvements sociaux, avec un dispositif qui permettrait de condamner les manifestants ?

- Imaginons qu’une manifestation touche à sa fin et qu’un groupe de casseurs commettent des violences. Par association de proximité, le manifestant peut être tenu responsable. Cet article se trompe de cible, il ne s’en prend pas aux casseurs mais aux manifestants par amalgame. Nous avons soumis une proposition d’amendement qui permettrait de lever ce risque. Il suffit de l’adopter.

Si votre amendement était adopté, vous seriez donc favorable à l’article 2 qui permet de condamner les casseurs ?

- Non, car dans tous les cas, cet article n’est pas une bonne idée. Les casseurs et les attroupements violents sont déjà sanctionnables, on l’a vu à l’époque du CPE. Il y a une série de dispositifs très lourds qui existent déjà, qui sont appliqués, et heureusement d’ailleurs. Je redoute que l’article 2 vise non pas les casseurs mais les manifestants. Il me rappelle la loi anti-casseurs adoptée en 1970 et abrogée par la gauche en 1981. Dans son application, elle visait les responsables syndicaux, en particulier les syndicats agricoles. Ce ne sont pas des mesures efficaces, mais au nom de la lutte contre les bandes délinquantes, discrètement, on sanctionne les lycéens, les parents d’élèves etc.

Cette proposition de loi tente de lutter contre les violences commises en bande, comme cela a pu être le cas lors de l’intrusion dans un lycée de Gagny par exemple. Face à ces phénomènes, quelles mesures alternatives proposez-vous?

- Nous martelons l’ensemble de nos propositions, dont trois principales :
En premier lieu, nous estimons qu’il est urgent de déployer une police de quartier pour regagner les zones de non-droit. Il faut casser l’économie souterraine, pour toucher aussi le modèle de comportement qu’elle véhicule (argent facile, loi du plus fort etc.) Il faut redéployer les 8.000 policiers dont les postes devraient être supprimés d’ici 2013 dans ces zones.
Deuxièmement, il faut une sanction précoce. Aujourd’hui, on a une impunité par rapport aux violences. La sanction pénale arrive trop tard et envoie en prison. A l’inverse, il faut sanctionner dès le premier acte de délinquance, mais avec une sanction éducative ou d’intérêt général. Cela évite la récidive. La prison favorise le passage d’une délinquance de rue au banditisme.
Enfin, nous voulons une politique de prévention précoce contre les violences juvéniles. Il faut des stages de citoyenneté dans les communes. Face aux « décrocheurs », qui arrêtent d’aller à l’école avant 16 ans, il faut des tuteurs référents qui s’assurent qu’ils sont bien inscrits dans des établissements. Dans le cas de Gagny, il y avait beaucoup de mineurs qui avaient décroché, dont un gamin qui avait été exclu mais ne s’était réinscrit nulle part.
Il y a donc un enjeu énorme sur la question de l’éducation. L’UMP vote contre ces propositions alors que ce sont des vraies réponses, efficaces, aux phénomènes de bandes. Au lieu de cela, il y a une surenchère législative alors qu’en sept ans, cela n’a rien résolu.

Un délit de soldarité jugé à Rodez LibéToulouse 20-06-09

Jeudi 25 juin 2009

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JUSTICE. C’est certainement un problème de vocabulaire. Le ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, Eric Besson assure que le «délit de solidarité» n’existe pas.

Une peine d’au moins 5 mois de prison avec sursis vient pourtant d’être requise mercredi au tribunal correctionnel de Rodez contre le ressortissant Guinéen, avec papiers, Salimou Fofana au motif qu’il a occasionnellement hébergé, de temps en temps nourri et en tout cas conservé quelques documents administratifs de son compatriote, sans papiers, Baya Namingui.

Si ce n’est pas là un délit de solidarité, c’est qu’il faut réécrire les dictionnaires.

Dans son réquisitoire express de moins de deux minutes, le substitut Eric Camous n’a d’ailleurs à aucun moment évoqué une quelconque qualité de passeur ou de trafiquant de clandestins concernant Salimou Fofana.

Ce dernier, 45 ans, marié avec enfants, manutentionnaire dans une grande entreprise agricole explique tout simplement qu’il n’aurait jamais songé à demander le moindre fifrelin à Namingui.

Sa faute, selon le parquet? N’avoir pas laissé ledit Namingui à la rue et le ventre vide quand il passait le soir à la maison. Sa très grande faute? L’avoir aidé alors qu’il le savait pertinemment en situation irrégulière puisque conservant son dossier demande d’asile auprès de l’Ofpra.

Devrait donc être retenu du réquisitoire d’Eric Camous que la démarche la plus citoyenne pour Fofana eût été de le dénoncer…

Par expérience, la manutentionnaire guinéen de la RAGT pouvait en fait miser sur une régularisation prochaine de son compatriote. Lui-même a été régularisé, il y a dix ans, avec le soutien du Collectif des réfugiés de la région de Rodez. Dont il n’est jamais devenu pour autant militant.

«Ce n’est donc pas une défense de rupture que nous avons envisagée, explique Jean Malié, porte-parole ruthénois de la Ligue des Droits de l’Homme venu le soutenir avec ses amis jusque devant le Palais de justice. Nous ne voulons pas indisposer le juge. Mais juste plaider la bonne foi, la simple humanité de Fofana».

C’est ce qu’a fait à l’audience l’avocat Stéphane Mazars: «Laissant Namingui passer la nuit dehors en hiver, Fofana eût pu être poursuivi pour non-assistance à personne en dangerŠ» plaide-t-il par l’absurde.

Le 3 février 2009, c’est un marabout soupçonné d’abus de faiblesse que les gendarmes de Rodez cherchaient. Perquisitionnant au domicile de Fofana, ils n’ont rien trouvé qui puisse être retenu contre lui. C’était une fausse piste.

C’est là en revanche qu’il ont retrouvé, non pas Namningui, ni son linge ni un lit défait qui auraient témoigné de sa résidence, mais un dossier de l’Ofpra à son nom. Fofana n’était pas marabout. Le moins était qu’il fût un dangereux relais de l’immigration clandestine.

Le parquet ne relève pas cela non plus? Alors il devait être prévenu du délit de solidarité.
Jugement mis en délibéré au 22 juillet

GLv.

Un superlogiciel pour traquer la délinquance Jean-Marc Leclerc Le Figaro 22/06/2009

Lundi 22 juin 2009

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La gestion centralisée du nouveau Périclès serait assurée par la gendarmerie, à Rosny-sous-Bois.
La gestion centralisée du nouveau Périclès serait assurée par la gendarmerie, à Rosny-sous-Bois. Crédits photo : Le Figaro

Mis au point par la gendarmerie, cet outil permettra aux enquêteurs de puiser rapidement dans un vaste ensemble de données, depuis les fichiers de police jusqu’à Google ou Facebook.

Un superlogiciel pour traquer la délinquance Jean-Marc Leclerc  Le Figaro 22/06/2009 dans Fichage coeur-L’enjeu est de taille. Pour faire grimper son taux de réussite – c’est-à-dire sa capacité à retrouver les auteurs des crimes et délits -, la gendarmerie travaille en éclaireur à la réalisation d’un outil informatique d’un nouveau genre qui, s’il voit le jour, sera aussi utilisé par la police. Ce système, baptisé «Périclès» en référence au stratège athénien, a, comme sa lointaine cousine, la base de données Edvige, changé de nom en cours d’élaboration pour répondre à l’acronyme imprononçable d’AJDRCDS (Application judiciaire dédiée à la révélation des crimes et délits en série).

Son principe est simple : utiliser la capacité de recoupement instantané des ordinateurs pour débusquer les suspects, en alimentant la machine avec toutes les informations légalement utilisables. Pour cela, la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, va faire voter un article spécial dans sa loi d’orientation pour la sécurité, dite «Lopsi 2», bientôt présentée au Parlement. Il autorisera l’usage de cette nouvelle forme d’enquête assistée par ordinateur pour tous les crimes et délits passibles d’au moins cinq ans de prison. Même si la gendarmerie regrette que le seuil ne soit pas encore abaissé, pour pouvoir traiter «la délinquance de proximité, qui reste impunie huit fois sur dix». De l’arrachage de sac au vol d’autoradio.

 

L’information en un clic

Le nouveau Périclès croisera donc les traditionnels outils de police, comme les fichiers d’antécédents judiciaires Stic et Judex (bientôt refondus dans Ariane), avec des éléments complémentaires d’abord puisés dans les procédures judiciaires. Tout ce qui sera saisi dans les dossiers (lieux, moyens de transport, objets, personnes, signalements) fera l’objet d’une indexation précise dans Ariane. Pour pouvoir retrouver l’information en un clic. Puis Périclès, moteur de recherche élaboré, se chargera de détecter les éléments qui peuvent avoir un lien entre eux, qui traduisent une répétition, une série.

«Un gendarme de Brive-la-Gaillarde enquêtant sur deux agressions violentes pourra ainsi demander à l’ordinateur si, dans d’autres affaires de même nature commises en France, il y a des similitudes avec les faits qui le mobilisent, en termes de mode opératoire», explique un expert.

C’est l’application qui cherchera les points communs dans la supermémoire informatique des services. «Alors qu’avant l’enquêteur devait éplucher chaque fichier, chaque dossier, quasiment manuellement», affirme notre interlocuteur. Périclès ira jusqu’à croiser les fichiers de police avec les bases de données d’autres administrations, mais aussi avec les systèmes d’informations des opérateurs privés de téléphonie ou des banques, grâce à un système de réquisition judiciaire accélérée. «Nous n’aurons plus à attendre deux semaines qu’un opérateur de téléphonie daigne nous transmettre les éléments», se réjouit un commissaire de police très au fait du dossier.

 

«Sources ouvertes au public»

L’un des promoteurs du projet, Place Beauvau, l’assure : «Grâce à cet outil intelligent, il ressortira, par exemple, que telle ou telle personne, à laquelle nous n’avions pas prêté attention, se trouvait sur les lieux de plusieurs crimes ou délits, dans des villes ou des quartiers différents». Parce que, dit-il, «l’ordinateur aura fait remonter que, dans le périmètre de ces affaires sans rapport apparent, des agents avaient relevé la plaque d’immatriculation de sa voiture».

Le superprogramme des gendarmes va plus loin. Dans un document auquel Le Figaro a eu accès, il est très clairement indiqué que Périclès pourra être «enrichi» d’informations puisées dans les «sources ouvertes au public». À commencer par tout ce qui remonte via Google ou Facebook, le réseau social à la mode qui révéla en un éclair les noms des «amis» du trader Jérôme Kerviel.