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Les préfectures d’Ile-de-France ne respectent pas le droit d’asile
Malgré les dénégations d’Eric Besson, le rapport des associations sur les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Ile-de-France est implacable.
Ce que disent les associations et le ministre de l’immigration
Mercredi, six associations, dont Amnesty international, la Cimade et l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) ont dressé un “constat accablant des pratiques préfectorales illégales” en Ile-de-France, destinées, selon elles, à dissuader les demandeurs d’asile de solliciter une protection en France. (Voir la dépêche AFP sur le sujet / leur dossier de presse). Ces associations se sont rendues dans six préfectures (Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Val-d’Oise, Yvelines) et ont constaté “de graves violations des droits des demandeurs d’asile et des lois”.
Jeudi, le ministre de l’immigration et de l’identité nationale, Eric Besson, a répondu à ces affirmations en estimant que ces accusations sont “dénuées de tout fondement et démenties par les chiffres” (voir le communiqué). Selon lui, affirmer que la préfecture des Yvelines a été “condamnée” est faux. Il assure également que le droit à l’information des demandeurs d’asile est respecté.
Pourquoi c’est vrai
Les conditions d’accueil des demandeurs d’asile sont régies par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (voir ici sur Legifrance, et une explication pédagogique sur Service-Public.fr). Il s’agit donc de savoir si les associations ont raison d’estimer que les préfectures franciliennes ne respectent pas ces dispositions. Le ministre dément les accusations des associations sur trois points.
1- Les préfectures font obstacle à l’exercice du droit d’asile
Selon la loi, tout demandeur d’asile doit pouvoir déposer sa demande auprès de la préfecture de son lieu de résidence ou de domiciliation postale. Or les associations estiment, après un an d’enquête dans les préfectures, que ce droit n’est pas respecté et qu’il existe un “numerus clausus” de fait. Files d’attentes interminables, absence d’accueil au guichet, demande de pièces illégale dans les dossiers : les associations égrènent les exemples et les témoignages.
Le ministre répond que cette affirmation est “démentie par les chiffres”. “Le nombre d’autorisations provisoires de séjour (APS) pour démarches auprès de l’OFPRA [Office français de protection pour les réfugiés et apatrides] délivrées par ces préfectures est en augmentation en 2009″, assure le ministère, chiffres à l’appui. (Voir le tableau dans le communiqué)
Sauf que ces chiffres n’évoquent pas les conditions d’accueil. Et sur le fond, les pratiques des préfectures sont en fait dénoncées depuis longtemps, notamment par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (en 2001, déjà), par Amnesty international entre 2007 et 2009 et par la Cimade . De même, les associations lui ont écrit en novembre 2008 et juin 2009 sur ces questions, en vain. “En fait, sur le constat, tout le monde est d’accord. En off, les préfets reconnaissent bien les difficultés de gestion, même si on n’est pas forcément d’accord sur les réponses”, explique Florence Boreil, de l’ACAT. Les avocats spécialistes de l’asile, regroupés dans le réseau ELENA, sont d’ailleurs unanimes pour dénoncer les conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans les préfectures.
Enfin, le sociologue Alexis Spire, (voir ici une vidéo réalisée par Le Monde.fr) qui s’était fait embaucher comme guichetier pour étudier les pratiques d’accueil était même plus sévère, qualifiant de “lieu de relégation” les centres de réception des demandeurs d’asile dans son ouvrage Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l’immigration (Paris, Raisons d’agir, 2008).
2 – La préfecture des Yvelines a bien été condamnée
Les associations assurent dans leur dossier que “la préfecture des Yvelines a de nouveau été condamnée à dix reprises entre le 11 et le 14 novembre 2009 pour atteinte grave et manifeste au droit d’asile en raison de son refus d’enregistrer des demandes d’asile”. Le ministère, lui, répond que cette affirmation “est erronée” et qu’il s’agit “d’injonctions adressées par le juge des référés au préfet pour qu’il convoque dans un délai de cinq jours des demandeurs d’asile qui n’avaient pas pu être reçus du fait de l’affluence au guichet”.
Maître Lagrue rappelle qu’“il ne peut s’agir d’une condamnation pénale, puisqu’il s’agit d’un tribunal administratif : la préfecture à bel et bien été condamnée, dans le sens où elle n’a pas respecté ses engagements de service public. C’est une sanction, avec ordre de faire.”
La lecture des décisions du tribunal administratif en donne un exemple. Dans une décision du 12 novembre, par exemple, le juge des référés écrit : “Il est enjoint à la préfète des Yvelines de convoquer M. X dans un délai de trois jours (…), sous astreinte de 300 euros par jour de retard.” Décision qui m’a été envoyée par Jean-François Dubost, d’Amnesty international.
En fait, à dix reprises, la préfecture est condamnée pour des cas concrets sur lesquelles son attitude est considérée comme “une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale du droit d’asile”.
Là-dessus, les associations n’emploient pas le terme approprié, mais ont raison sur le fond : le ministère joue sur les mots.
3 – Le droit à l’information dans les préfectures n’est pas correctement assuré
Le ministre assure également qu’il est “inexact d’invoquer un ‘défaut flagrant et criant d’information’”, comme le font les associations. Et assure avoir mis en place en mai 2009 dans toutes les préfectures un guide, “qui est distribué à tous les demandeurs”.
L’enquête des associations signale que dans quatre des préfectures, le guide n’est pas disponible, et que dans les deux autres, le guide n’est pas à jour. Le ministère précise qu’une traduction de ce guide en cinq langues “est en cours” et qu’il est disponible sur Internet. Florence Boreil souligne qu’il faut se rendre compte que “pour les demandeurs d’asile, aller sur Internet, c’est vraiment impossible ! Je rappelle qu’ils arrivent de pays en guerre.”
Surtout, les associations affirment n’avoir “jamais vu un demandeur d’asile avec le guide”. Maître Lagrue confirme : “Je n’ai jamais entendu parler de ce guide !” Et d’expliquer : “Les agents de la préfecture sont en flux tendu et voient énormément de monde, la présentation au guichet doit aller vite, ils n’ont pas le temps matériellement de donner des informations détaillées et un guide explicatif.” “C’est aussi un problème de budget, bien sûr”, souligne-t-elle.
De même, la traduction du guide dans la plupart des langues n’est pas encore disponible, alors que la loi stipule qu’“une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu’il comprend”. “La traduction en 18 langues d’un formulaire a été réalisée par le ministère lui-même, mais les préfectures continuent curieusement à ne diffuser uniquement que les versions française et anglaise“, notent les associations.
Sur ce point, les associations disent vrai, et la défense du ministère est incomplète.
Nabil Wakim
Merci aux quelques internautes qui ont contribué à cette recherche Xavier (sur Alexis Spire), Jean-François Dubost (Amnesty international France), Loloster et Paulo (sur les conditions d’accueil en préfecture).
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