Le premier Forum contre la répression des mouvements sociaux qui s’est tenu à la Maison du Peuple samedi 5 décembre a réuni plus de 150 personnes durant l’après-midi et la soirée.
> Le Forum a commencé avec la présentation du Comité poitevin contre la répression des mouvements sociaux. Ce collectif d’individus s’est constitué fin avril 2009 en résistance aux provocations et au harcèlement exercés par le pouvoir – notamment grâce à son arsenal de lois sécuritaires et par le biais de sa police comme de sa justice – contre les acteurs et les actrices de mouvements sociaux afin de les dissuader de s’engager sur le terrain politique. Le Comité poitevin contre la répression des mouvements sociaux est soutenu par des associations, des syndicats et des partis (Alternatifs Poitiers, les Verts-Vienne, le Nouveau parti anticapitaliste, l’Organisation communiste libertaire, le Parti de gauche 86, la section de Poitiers du Parti communiste français, SUD Education 86, SUD Etudiants Poitiers et l’Union locale Poitiers CNT).
> L’objectif du Forum – organisé en soutien aux personnes sur lesquelles s’abat la répression – a bien sûr été rappelé ensuite. Une caisse de solidarité était disponible sur place – et il est encore possible d’apporter une aide financière (chèques à faire à l’ordre de Acratie et à envoyer à Acratie, 86310 La Bussière).
> Il a aussi été rappelé les prochaines dates de mobilisation contre la répression :
> *Le 5 janvier : Procès – pour refus de prélèvement d’ADN et rébellion – d’une jeune fille mineure arrêtée le 10 octobre.
> *Le 14 janvier : Appel du procureur contre six personnes arrêtées le 10 octobre et qui ont été jugées en comparution immédiate le 12 :
- Charles : Déclaré coupable de détention de feu d’artifice ; 2 mois avec sursis ;
- Samuel : Déclaré coupable de violence sur commissaire ; 6 mois dont 5 avec sursis ;
- Jean-Salvy : Déclaré coupable de violence sur officier de police ; 6 mois dont 5 avec sursis ;
- Léo : Déclaré coupable de dégradations volontaires par incendie et jets de pierre ; 6 mois avec sursis ;
- Candice : Déclarée coupable de dégradations volontaires sur un bien d’utilité publique ; 6 mois avec sursis et mise à l’épreuve, 300 euros d’amende pour refus de prélèvement d’ADN et 650 euros pour la Mairie de Poitiers ;
- Nathalie : Déclarée coupable de détention de feu d’artifice ; 2 mois avec sursis.
> *Le 21 janvier : à 10h30 appel du procureur contre Nina condamnée le 30 juillet 2009 à 500 € d’amende avec sursis et 850€ de dommages et intérêt pur JC Decaux pour bris de « sucette » et qui avait été relaxée pour son refus de prélèvement ADN.
> *Le 23 février : Procès de Sarah et d’Angélique, arrêtées le 10 octobre et poursuivies pour refus de prélèvement d’ADN (ainsi que pour refus de prise de photo et d’empreintes concernant Angélique).
> Le premier débat : La prison, outil de gestion de la pauvreté et bon investissement pour les milieux économiques, avec Gabi Mouesca, chargé de mission sur la prison à Emmaüs France, ex-président de l’Observatoire international des prisons et militant de la cause basque – dix-sept ans de prison (salle Jouhaux), a permis de comprendre que la prison est d’abord une arme contre les pauvres. C’est maintenant un moyen de rentabiliser celles et ceux que la société appelait les « indigents », c’est à dire les personnes « inutiles », non rentables. Les prisonniers, composés à 95 % d’inutiles, de non-rentables, le deviennent ainsi car, par le biais du système carcéral (construction de prisons, privatisation des « services », travail, etc.), ils font gagner du fric à des entreprises privées capitalistes. L’« inutile » devient « utile ». Il faut savoir aussi que la personne qui entre en prison est très souvent dans un état physique et psychique grave qui nécessiterait des soins (elle l’est encore davantage au fil des mois). Or un « malade » pris en charge coûte dix fois plus que le même « entretenu » en prison. Les nouvelles prisons sont en général détestées des prisonniers parce qu’elles rajoutent encore une couche de déhumanisation liée à l’automatisation. Sans doute est-ce finalement plus supportable d’avoir affaire à un maton désagréable qu’à une machine aseptisée qui ne dit rien.
> Dans le même temps, salle Timbaud, le débat avec le Collectif des sans-papiers de Poitiers, Christophe Pouly (avocat), le Toit du Monde et le RESF86-Antenne universitaire a permis de faire le point sur les sans-papiers et le délit de solidarité. Suite aux témoignages des associations et aux analyses et conseils éclairés de Christophe Pouly, nous en sommes arrivés à pointer le problème : la législation existe, les recours existent, mais les demandeurs sont dans l’impossibilité de faire valoir leurs droits. Par exemple, c’est le sans-papiers lui-même qui doit prendre rendez-vous avec la préfecture, mais il doit le faire exclusivement par téléphone. Les sans-papiers ne parlant pas français et utilisant les services d’un interprète sont donc soumis à une injonction paradoxale. Ils n’ont qu’une liberté formelle, et non réelle.
> A 16 h 30, tout le monde s’est réuni salle Jouhaux pour le débat : La répression va bon train. Témoignages sur la répression de la jeunesse poitevine en 2008-2009 ; retour sur les événements du 10 octobre et leurs suites. Il était inévitable que nous revenions longuement sur ces événements et sur ce que certains ont appelé sans rire les « émeutes » ou même le « sac » de Poitiers. Mais le Comité antirépression a très rapidement replacé ces événements dans une double perspective – en premier lieu historique : ce qui s’est passé le 10 octobre n’est pas isolé, mais se situe dans une série d’autres événements qui a commencé à Poitiers au moins lors du mouvement anti-CPE en février-avril 2006 et s’est poursuivi avec le mouvement lycéen d’avril-mai 2008 et durant toute l’année scolaire 2008-2009. Ensuite, ces événements sont à considérer dans une perspective plus nationale que locale : les témoignages apportés lors du débat par le Comité de défense des libertés fondamentales contre les dérives sécuritaires (CODELIB) sur la répression à Saint-Nazaire ainsi que par le comité antirépression de Tours, de même que les multiples exemples de répression exercée ailleurs au cours de ces derniers mois (notamment à Strasbourg, à Reims ou à Dijon) le montrent bien – et la perspective internationale elle-même a été évoquée avec l’exemple de la répression lors du G20 de Gênes.
Nous avons également approfondi le problème pointé auparavant : la répression n’est-elle qu’une dérive sécuritaire ou est-elle intrinsèquement liée à la nature même de l’Etat ? L’Etat n’est pas neutre, il n’est pas un arbitre mais l’instrument par lequel la classe dominante exerce sa domination sur les classes populaires. L’offensive capitaliste menée depuis les années 80 pour augmenter toujours davantage les profits ne laisse plus de place à un consensus social construit pour durer, comme celui qui fut mis en place dans l’après-guerre. L’Etat se montre d’abord répressif et sécuritaire ; c’est par la peur que les dominants entendent gouverner. Cela est accentué par la crise économique actuelle, qu’ils veulent faire payer exclusivement aux classes populaires pour préserver les profits capitalistes, ceux des banques en particulier. S’il est apparu des divergences entre les participants au débat sur l’analyse des diverses institutions étatiques et para-étatiques, cet aspect-là de l’analyse a semblé partagé.
> A 19 heures, le débat sur les prélèvements d’ADN et les Faucheurs volontaires, avec Jacques Pasquier, secrétaire national de la Confédération paysanne (salle Jouhaux). Le prélèvement d’ADN n’est pas seulement un moyen colossal de fichage, le signe de la venue d’une société totalitaire : c’est aussi une atteinte à la dignité de la personne. L’ADN fait partie de son intimité, de soi, et s’y immiscer est une sorte de viol. C’est là une dimension que Jacques Pasquier a ressentie et mise en avant pour refuser le prélèvement. Il a été noté au cours du débat que c’est bien une volonté de fichage de toute la population, puisque le prélèvement est demandé potentiellement à tout le monde… Tout le monde est susceptible d’être mis en garde à vue pour une raison ou une autre, sans qu’il y ait délit ou crime ! Ce débat a porté aussi sur les OGM, et il a été constaté que sans les actions illégales des Faucheurs la question n’aurait jamais été portée sur la scène publique. Egalement, que bien peu de municipalités (de droite comme de gauche) se sont mouillées pour interdire les OGM sur leur territoire (les seules, dans la Vienne, ont été de petites communes). Il a souligné aussi que le choix de faire des fauchages en plein jour et à visage découvert avait été choisi après discussions. Ce choix a permis de susciter un soutien populaire de plus en plus large, jusqu’à ce que ce débat soit reconnu comme légitime, y compris par les défenseurs officiels des OGM. Une dizaine d’années de persévérance auront été nécesaire pour que cette première victoire soit obtenue.
> Dans le même temps, salle Timbaud, les jeunes des quartiers populaires des Couronneries et des Trois-Cités ont commencé à témoigner sur leurs relations avec la police et la justice. Mais ils ont vite dénoncé le rôle de victimes dans lequel le Forum aurait pu les cantonner, et s’est instauré un débat très intéressant sur la spécificité de la lutte dont l’essence politique est occultée, de cette jeunesse populaire elle aussi, en soi, occultée. Il y avait dans le discours de ces jeunes un superbe parfum à la fois de revendication des droits formels pour tous – les mêmes lois et le même accès aux lois pour tous – et de revendication des droits réels, avec la délicieuse métaphore du partage du gâteau : certains qui ont plus ne veulent pas avoir autant que les autres. Tout cela avait des accents revendicatifs rappelant le mouvement pour l’égalité des droits des Noirs américains dans les années 60-70. Un autre point abordé très intéressant a été la question de la convergence des luttes des jeunes des quartiers populaires, des jeunes étudiants et des jeunes militants.
> Le Forum s’est terminé avec le visionnage d’un documentaire sur les prisons.