Un jugement intéressant de la cour de cassation sur les histoire d’outrage, de diffamation, etc…
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La Cour de cassation donne raison à La Rumeur contre Nicolas SarkozyAprès huit ans de procédure, la cour de cassation a donné finalement raison à Hamé, rappeur du groupe La Rumeur, contre l’ex-Ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. «Le vent a tourné, ça valait le coup d’être endurant, jubile l’avocat du rappeur, Dominique Tricaud. Pour la première fois, les plus hauts magistrats de ce pays viennent de reconnaître qu’il n’est pas diffamatoire de dire que « les rapports du ministère de l’Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces l’ordre sans que les assassins ne soient inquiétés ».»Son client, Mohamed Boroukba, dit Hamé, est moins enthousiaste : «Tout ça pour ça ? Cinq procès, huit ans de procédure… pour me dire que j’avais le droit d’écrire ce que j’ai écrit.»C’est que l’affaire, somme toute banale d’un rappeur poursuivi pour diffamation envers la police nationale, avait pris une tournure politique. Elle se situait sur un autre cadre juridique, celui de la liberté de la presse, et pour la première fois dans une affaire de presse, l’Etat s’était pourvu une deuxième fois en cassation pour dénoncer la deuxième relaxe de la cour d’appel de Versailles.
En juillet 2002, c’est le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, qui porte plainte pour «diffamation, atteinte à l’honneur et la considération de la police nationale» contre Hamé non pas pour une chanson mais pour un article publié dans un fanzine qui accompagne la sortie de leur album L’ombre sur la mesure.
Passages non diffamatoires
Dans ce texte, L’insécurité sous la plume d’un barbare, écrit pendant la campagne présidentielle 2002, Hamé démontre que les jeunes de banlieue plutôt qu’acteurs de l’insécurité en sont surtout les victimes.
Le fanzine tiré à peine 10.000 exemplaires n’a pas fait long feu, puisqu’il était retiré des présentoirs lors des concerts deux mois après sa parution. Depuis huit ans, ce sont surtout les magistrats qui se sont penchés sur ce texte, dans les tribunaux de grande instance, les cours d’appel de Paris et de Versailles, la Cour de cassation…
À chaque relaxe, le Parquet faisait appel, jusqu’à un deuxième passage en cassation. Finalement lors de l’audience du 11 juin, l’avocat général a demandé le rejet du pourvoi en cassation, stipulant que cet article participe au débat d’idées, que la Cour européenne rappelle que dans une société démocratique, on a le droit d’avoir des jugements sévères sur les institutions.
Les trois passages incriminés de L’insécurité sous la plume d’un barbare ne peuvent être considérés comme diffamatoire car les faits retranscris ne sont pas assez précis et déterminés. A défaut, il ne s’agit que d’une injure ou d’une opinion. Il souligne que l’emploi du terme «assassin» est certes injurieux, mais il ne peut être condamné car le ministère de l’Intérieur n’a pas poursuivi pour ce délit mais pour diffamation. Après le jugement, Hamé s’est félicité dans un communiqué de l’indépendance de la justice.
Ce jugement intervient alors qu’à Pontoise, cinq habitants de Villiers-le-Bel sont jugés aux assises pour «tentatives d’homicides volontaires sur des fonctionnaires de police» pendant les émeutes qui ont touché leur ville les 25 et 26 novembre 2007.
A lire aussi, «Tous coupables», un portrait du groupe La Rumeur
et un article détaillé de 2008 sur l’affaire: «La Rumeur vit avec la justice aux trousses pour quelques mots».
La Rumeur vit avec la justice aux trousses pour quelques mots Libération 05-06-2008
ARNAUD Didier
Deux cent vingt-sept lignes. «Un texte très bref, plein d’images littéraires, de métaphores et d’hyperboles. Et trois critères récurrents : la brièveté, la virulence et le sentiment d’injustice.» C’est Dominique Lagorgette, une linguiste spécialiste du pamphlet, qui s’exprime. Elle parle du texte écrit par Mohamed Bourokba, dit Hamé, 33 ans, rappeur du groupe La Rumeur, sweat vert, capuche, et jeans. Dominique Lagorgette relativise. Elle a trouvé des choses «bien plus violentes», chez Sade, Voltaire, ou The Last Poets. «Je ne voudrais pas vexer le groupe, mais je serai tenté de dire : « peut mieux faire »». A cause de ces 227 lignes, Hamé s’est encore retrouvé mardi devant la justice, à la huitième chambre de la cour d’appel de Versailles. Est-ce de l’acharnement ? Relaxé d’abord, en 2003, ensuite, en 2004. A chaque fois, le parquet a fait appel, contredisant ses propres réquisitions. La troisième fois, c’est la Cour de cassation, en 2007. Elle estimait qu’il y avait bien diffamation.
A Versailles, autour d’Hamé, se trouvent des «fans» de La Rumeur, mais aussi la rappeuse Casey, des proches du groupe Noir Désir, des militants du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) et de l’association Les mots sont importants. Le public pouffe lorsque le président parle du rap «bling-bling», ou évoque, comme s’il s’agissait d’un mot français, le «tauque-chaud» [talk-show, ndlr].« talk (prononcer tauque) show » où ils sont invités
«Convulsions». De quoi parle-t-on ? De phrases tirées d’un article publié sous le titre «Insécurité sous la plume d’un barbare». Il accompagnait l’album du groupe La Rumeur, L’ombre sur la mesuresorti en 2002. Hamé écrivait : «Les rapports du ministère de l’Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun des assassins n’ait été inquiété.» Mais aussi : «La réalité est que vivre aujourd’hui dans nos quartiers, c’est avoir plus de chance de vivre des situationsde discrimination à l’embauche, de précarité du logement, d’humiliations policières régulières.»
C’est de la police dont il est question lors de cette audience. Elle pour qui Nicolas Sarkozy a apposé sa signature au bas de la plainte qui vise le groupe de rap. Hamé s’exprime doucement, avec des mots choisis. Il ironise. Quand il a écrit, il n’était pas «pris de convulsions. J’avais toute ma conscience et ma raison». Hamé déroule son argumentaire : Il a voulu «renverser la perspective». Sa première intention, «c’était d’indiquer que derrière le thème de l’insécurité qui occupe les ondes il y a des formes d’insécurité dont on ne parle pas». Celle des abus policiers. Il raconte aussi que dans ses morceaux il essaie de faire le lien entre le passé et l’avenir, l’histoire de l’immigration et celle du colonialisme. Selon lui, tout cela a à voir «avec nos désordres intimes et les difficultés de ce qui se joue en nous», confie-t-il, énigmatique. Et puis, il se fait soudain pragmatique : «15 contrôles d’identité musclés par semaine, mon article ne pèse rien à côté de cela». Et s’il était besoin de préciser, il ajoute : «C’est bien souvent une population, pas que des jeunes, mais d’une même couleur de peau, qui est visée.»
Au secours d’Hamé, son avocat a cité à la barre Jean Pierre Garnier, ingénieur de recherche au CNRS. Garnier évoque «l’actualité» du texte, qui «résume le vécu de la majorité de la population masculine qui vit dans les quartiers». Notamment le «harcèlement souvent agressif des forces de l’ordre», et les «décisions de justice deux poids deux mesures [selon qu'on est du côté de la police ou du citoyen lambda, ndlr]». «Quel effet d’entraînement peut avoir un tel texte sur une population jeune ?» demande le président. «Au plan littéraire, il est accessible à ceux qui ont un certain niveau culturel», répond le chercheur. A l’appui des propos d’Hamé sur les violences policières, l’historien Maurice Rajfus note ce qu’il nomme une «invariance» dans le comportement des forces de l’ordre. Entre 1977 et 2001, il a répertorié 196 morts. Depuis 1982, il en a relevé 80. «En majorité des jeunes mineurs, d’origine maghrébine qui avaient reçu une balle dans le dos ou la tête. La seule chose qu’on n’apprenne pas dans les écoles de police, c’est comment ne pas se servir de son arme», lance-t-il. Puis il conclut : «Il faut que les policiers cessent de considérer le reste de la population comme suspecte.» Vient ensuite Jean-Luc Einaudi, spécialiste des événements d’octobre 1961. Il parle de l’«écho» qui a résonné en lui dans les mots d’Hamé, à propos des «assassins non inquiétés». Ils lui rappellent cette «vaste tentative d’étouffement et de dissimulation des Algériens tués par des policiers» avant et après octobre 1961 – plus de 400 disparus -, ces 60 informations judiciaires ouvertes à la demande du préfet «toutes closes par des non-lieux».
Impunité. En détachant singulièrement les syllabes, l’avocat général demande la condamnation d’Hamé. «Il ne s’agit pas de voir brocarder la police à la manière de Brassens, scande-t-il. Les allégations portent atteinte à l’honneur et la considération de la police nationale dont on affirme qu’elle agit criminellement.» Quant aux comparaisons avec les faits d’octobre 1961, il juge que c’est «un élargissement du champ spatio-temporel non exempt d’une part de subjectivité». Les avocats du rappeur persistent, plaident encore la relaxe. Dominique Tricaud explique qu’il y a dans le dossier des «particularités procédurales invraisemblables, notamment un pourvoi du parquet général en matière de presse c’est du jamais-vu». Pour lui, ce dont parle Hamé ne sont pas des faits suffisamment «précis pour qu’on puisse les qualifier d’injures». Qui plus est, l’arrêt de la Cour de cassation est un «oukase», qui «cite des faits qui ne sont pas dans la prévention». Il évoque enfin ce rapport d’Amnesty International qui conclut à un système d’impunité des policiers en France particulièrement dans les quartiers sensibles. Pour lui, si Hamé est là aujourd’hui, c’est parce qu’il a «honte» que son père a été «ratonné» quand il était ouvrier agricole, dans les années 60, en France. «Les médias parlent du rap avec un prisme réducteur, pas en écoutant ce qu’il dit», avait souligné un journaliste cité par la défense. Les magistrats versaillais le contrediront-ils ? Délibéré le 23 septembre.