Mosart, le fichier des renégats de l’éducation nationale
09/04/2010
Encore un fichier national dans les écoles élémentaires. Encore une fois justifié par la nécessaire «modernisation» des services et vendu avec «l’accord de la CNIL». Cette fois il catalogue les profs. Il fallait bien gérer les coupes de salaires pour «service non fait» des enseignants récalcitrants, grévistes ou refuseurs. Surveiller et punir, mais automatiquement.
Depuis mars 2010, l’application MOSART (MOdule de Saisie des Absences et Retenues sur Traitement) se répand sur quelques sites “pilotes” (dont les académies du Rhône, Pas de Calais et Bouches-du-Rhône apparemment) pour ensuite être imposé partout — même tactique que pour le déploiement du fichier Base élèves en 2005. Une directrice d’école remarque, comme avec Base élèves à ses débuts: «on nous a précisé que ce n’était pas obligatoire»...
On a connu le recours sémantique aux prénoms féminins (Edvige, Cristina, Ariane), voire ancien régime (Oscar, Grégoire…) pour adoucir les traits d’un fichier tentaculaire. Maintenant le lyrisme de l’administration va jusqu’à aller pêcher des noms célèbres. Alors autant rebaptiser base élèves, dont l’acronyme n’est pas du tout sexy (BE1D), pour que ça sonne mieux aux oreilles des bambins. Tiens, pourquoi pas BETOVEN? Pour Base Elèves, Traitement Ouvert et Vertueux de l’Education Nationale…
Restons sérieux. “Mosart” n’est pas vraiment une blague. L’objectif est donc de «moderniser les procédures de retenues sur traitement pour absence de service fait dans l’ensemble des établissements et services de l’Éducation nationale», indique un courrier de mars 2009 signé Pierre-Yves Duwoye, secrétaire général du ministère, rendu public à l’époque par le syndicat des personnels d’inspection SNPI-FSU. «J’ai souhaité qu’une extension de l’application paye attachée aux SIRH existants soit développée. Il s’agit de MOSART … qui a reçu l’aval de la CNIL dont les observations ont été prises en considération.» [image ci-contre]
MOSART a été présenté lors d’une réunion des secrétaires généraux d’académie, le 12 mars 2009; le document cite également une «note du 24 septembre 2008». Introuvable dans les textes officiels, ni même au Bulletin officiel de l’Education.
La lettre du SG du ministère décrit bien les finalités premières :
- simplifier et de systématiser le recueil et l’exploitation des données relatives aux absences de service fait;
- opérer dans les meilleurs délais les retenues sur traitement correspondantes;
- améliorer les échanges d’informations avec les trésoreries générales;
- mettre en place un suivi statistique. (…)
- [permettra enfin,] après vérification académique, d’adresser à la trésorerie générale les données nécessaires à la mise en oeuvre des retenues sur traitement.
Mais c’est surtout le module “grévistes” qui excite la curiosité. Le machin est gentiment nommé «module de cessation concertée du travail»…
… module consacré à l’estimation du nombre d’absents, sans aucune mention nominative, destiné à être utilisé en cas de cessation concertée du travail. Cet outil permettra, plus facilement qu’actuellement, de transmettre les informations statistiques qui vous sont demandées par le bureau du cabinet du ministre le jour d’un mouvement social.»
Sans aucune mention nominative? On demande à voir… Pour le syndicat SNPI-FSU (minoritaire), c’est quand même «révulsant»:
«La force des pouvoirs totalitaires de toutes obédiences, c’est leur efficacité administrative et leur capacité à engager les personnels d’encadrement dans des procédures de fichage et de traitement systématique des informations sur les individus à “administrer”. «Le fait même que le ministère ait songé à faire produire ce logiciel est un indicateur terrifiant sur l’idéologie sous-jacente qui inspire ses responsables. (…) il s’agit bien de faire taire toute contestation. La panoplie anti-grève est maintenant complète !»
Manif de soutien à un prof désobéisseur (Marseille, juillet 2009)
Quant au syndicat majoritaire, SI-EN (UNSA), il n’a jamais vraiment évoqué la question au niveau national. Un document anodin de sa fédé du Pas de Calais en parle en octobre 2009. En des termes plutôt inquiets (source .pdf):
Mosart (…) nous interpelle sur 3 points:
- Est-il normal que le rectorat aie communiqué directement cette consigne d’expérimentation aux circonscriptions, une nouvelle fois sans information préalable de l’IEN par vous ?
- Il n’est pas acceptable que le mot de passe personnel de messagerie de l’IEN soit celui requis pour l’accès à l’application.
- Devons-nous voir dans cette autre évolution, notre relégation croissante à des tâches administratives et de gestion ?
(…)
L’IA nous précise que Mosart est une application nationale. Il a eu à proposer trois circonscriptions … et n’a pas été informé de la suite donnée. Il entend que le recours au mot de passe personnel de l’IEN est inacceptable. Le SG précise qu’il s’agit là d’un logiciel conçu plutôt pour le 2nd degré et semble dubitatif, comme nous, sur sa pertinence pour le 1er degré.
En novembre 2009, la section d’Aix-Marseille évoque à nouveau Mosart sous l’espact “grévistes” (source .pdf), en précisant s’étonner «qu’on demande expressément aux IEN de saisir personnellement le nombre de grévistes». «Mobiliser une partie d’une matinée un cadre supérieur pour saisir deux nombres paraît une bien mauvais utilisation des compétences.»
Un an plus tard, tout récemment, le 21 mars 2010, au moment du déploiement de la version 2, le SNPI remet le couvert: «Mosart-2, une application qui heurte l’éthique des inspecteurs !»
Il s’agit in fine de demander aux IEN CCPD ou à leur secrétaire (il semble que selon les académies, la commande puisse être passée à l’un ou à l’autre) de saisir le nom des enseignants grévistes, en vue d’opérer rapidement une retenue sur salaire aux agents concernés (…).
Le SNPI-FSU tient à affirmer quelques principes :
- Au plan juridique, l’établissement et la circulation de listes de grévistes sont contraires à la loi : c’est une atteinte au droit syndical et à la vie privée sanctionnée par toute la jurisprudence en la matière, comme certains IA-DSDEN peu regardants ont pu en faire la cuisante expérience. D’autre part, la loi n° 2008-790 du 20 août 2008 instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles (…) dispose que « les informations issues des déclarations individuelles (…) sont couvertes par le secret professionnel. Leur utilisation à d’autres fins ou leur communication à toute autre personne que celles qui doivent en connaître est passible des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal. »;
- Au plan éthique, l’établissement de listes de grévistes écarterait de manière détestable les inspecteurs de leurs missions d’inspection et d’évaluation pédagogiques. … À cet égard, ils souhaiteraient connaître l’avis de la CNIL sur l’utilisation de ce nouveau fichier..
En vérité, nous aussi… on aimerait bien connaitre l’avis de la Cnil. Meme si en fait, on l’a déjà lu! En rêve.
Finalement le SNPI-FSU «conseille clairement aux IEN CCPD de sauvegarder leur crédibilité pédagogique plutôt que de se compromettre dans des opérations administratives douteuses. Il soutiendra tous les IEN qui feraient l’objet de pressions inacceptables». Et si les IEN concernés résistent aux pressions? Et hop, dans le fichier Mosart? Ben oui, j’en ai bien peur.
Et dernièrement, début avril, dans certaines académies, comme celle du Rhône, on a déjà averti les directeurs d’école: Mosart débarque en fanfare… (document ci-dessous).
P. S.
Mosart mosart… Et «Amadeus», vous connaissez? Un fichier presque cousin, enfin lointain cousin, car il s’agit de la base de données de réservation commune aux compagnies aériennes de l’UE. C’est lui qui gère les fiches “PNR” de chaque passager (Personal Names Record), sorte de “casier voyageur” qui est envoyé, avant chaque vol vers les USA, vers les ordinateurs de la sécurité intérieure étasunienne. CF articles de Zdnet de 2003-04 et dernier document de la CNIL (juin 2008).