iscrètement, une politique de sécurité spécifique à la gauche s’élabore dans des communes dirigées par des élus socialistes. Le PS, qui peinait jusqu’ici à élaborer un discours global sur cette thématique chère à la droite, entend désormais s’appuyer sur l’expertise de ses élus locaux pour construire une politique crédible. Depuis dix ans, les responsabilités des maires en matière de sécurité n’ont cessé de croître : la loi de prévention de la délinquance du 5 mars 2007 leur a donné une fonction centrale dans le domaine de la prévention. Décryptage de quatre politiques locales « de gauche ».
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Aulnay-sous-Bois et la « riposte graduée ». Cette ville de Seine-Saint-Denis avait été l’une des plus touchées lors des émeutes de l’automne 2005. Elle avait connu de brutales montées de tension en 2006 et 2007 – jusqu’à la découverte d’engins explosifs visant les policiers et les pompiers. La mairie a mis en place un dispositif de « riposte graduée ».
D’abord des médiateurs immergés dans les quartiers, connaissant bien les jeunes, capables d’assurer un travail de prévention de long terme. En cas de tensions, la mairie peut les faire intervenir de manière groupée. « Si on est alertés sur des risques d’incidents, par nos relais dans les cités, on peut envoyer une dizaine de médiateurs. Par leur présence physique, ils désamorcent la plupart des affrontements », explique le maire, Gérard Ségura.
Si les médiateurs ne suffisent pas, c’est la police municipale qui est envoyée. Et, enfin, seulement en cas d’échec des municipaux, la police nationale. « Notre idée, c’est que la police intervienne le moins possible », souligne le maire. Pour gérer ce dispositif, une « cellule de veille » a été mise en place pour assurer la coordination entre les différents intervenants et faire remonter l’information. « C’est la meilleure façon d’anticiper les problèmes et de les traiter à la racine. »
En 2008, les violences urbaines ont chuté de plus de 20 %. Mais l’équilibre reste instable : depuis quelques mois, avec la crise sociale, la mairie s’inquiète de voir des nouveaux « signes de tensions » avec des « jeunes touchés par un chômage endémique ».
Lyon et la « prévention situationnelle ». Depuis plusieurs années, la municipalité socialiste assume une politique locale de sécurité. « C’est une valeur de gauche, notamment parce que les premières victimes sont les plus fragiles », argue Jean-Louis Touraine, premier adjoint du maire, Gérard Collomb. La majorité a fortement accru les effectifs de sa police municipale (400 personnes aujourd’hui). Elle développe aussi la vidéosurveillance (220 caméras prévues d’ici à 2014) mais en l’accompagnant de la mise en place d’un « collège éthique » chargé de conseiller les élus et de répondre aux réclamations des particuliers.
« C’est notre méthode pour être efficaces sans être liberticides », résume M. Touraine. De façon plus originale, la municipalité s’est engagée dans ce que les spécialistes appellent la « prévention situationnelle », c’est-à-dire l’adaptation de l’urbanisme aux problèmes de sécurité. « On travaille sur l’éclairage, sur le choix de la végétation, sur les espaces publics mais aussi sur la mixité sociale et les flux de circulation pour anticiper les problèmes d’insécurité », note l’adjoint.
Aubervilliers et les « citoyens référents ». Deux cents habitants venus assister au conseil municipal, un record. La réunion exceptionnelle sur la « sécurité », les « préventions » et la « tranquillité publique », organisée le 19 novembre par Jacques Salvator, maire d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), a attiré la foule. « Je n’ai aucun tabou à aborder ce sujet. Le droit à la sûreté est un droit constitutionnel », affirme M. Salvator, qui a ravi la mairie aux communistes en 2007.
L’équipe organise, une fois par an, des réunions sur la sécurité dans chaque quartier. Des élus effectuent régulièrement des maraudes nocturnes pour aller rencontrer les jeunes qui traînent dans les espaces publics. « On se fait insulter une fois, deux fois, trois fois. Mais après, on réussit à établir un dialogue », explique le maire.
Surtout, des « citoyens référents », bénévoles, dotés d’une assurance et de téléphones portables, ont été désignés dans cinq quartiers pour alerter la municipalité des faits d’incivilité et de délinquance. Leur mission est de faire remonter l’information plus rapidement pour améliorer les délais de réponse. Ils permettent aussi un meilleur accompagnement des victimes. « Rien n’est plus terrible que l’impuissance publique. Dans des villes comme les nôtres, les habitants ne supportent plus qu’on leur dise que c’est la faute d’autrui, que c’est à cause du maire, du préfet ou du ministre que rien ne change. »
Toulouse et l’ »office de la tranquillité ». Ancien commissaire de police, Jean-Pierre Havrin avait popularisé le concept de « police de proximité » mis en oeuvre par le gouvernement Jospin entre 1997 et 2002. Cette approche avait été abandonnée par Nicolas Sarkozy, lequel avait limogé M. Havrin de son poste de directeur départemental de la sécurité publique.
Devenu, en 2008, adjoint au maire socialiste de Toulouse, Pierre Cohen, l’ancien commissaire porte aujourd’hui un programme de « tranquillité publique ». « Notre logique d’évaluation est totalement différente de celle défendue par Sarkozy, explique M. Havrin. On ne va pas compter le nombre de PV dressés chaque jour mais mesurer l’indice de satisfaction des habitants, ce qui n’a rien à voir. »
La police municipale (220 agents) a été décentralisée dans cinq quartiers. Chaque équipe de dix fonctionnaires est dotée d’un téléphone portable dont le numéro a été communiqué aux habitants pour qu’ils puissent la joindre n’importe quand. En complément, la mairie a créé un « office de la tranquillité » destiné à répondre, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, aux appels des habitants, notamment lorsqu’ils sont confrontés à des incivilités. « Aujourd’hui, le 17 est saturé et nos concitoyens ont pris l’habitude de ne plus avoir de réponse à leurs demandes après 17 heures », constate l’élu.
Les appels sont pris en charge par des « régulateurs » qui agissent sur le même modèle que ceux des urgences médicales : soit en décidant d’une intervention immédiate de médiateurs ou de la police municipale ; soit en proposant une intervention différée lorsque l’urgence est moins marquée. « Sur ces questions, la crédibilité ne se gagne pas dans les discours mais dans les actes du quotidien », résume M. Havrin.
Luc Bronner
Article paru dans l’édition du 03.01.10